CHAPITRE XV

Hercule Poirot buvait une tisane, tout en réfléchissant. Ses réflexions suivaient toujours un cours particulier. Il les sélectionnait comme un amateur de jeu de patience range ses pièces avant de les assembler. En temps voulu, elles seraient ajoutées les unes aux autres afin de composer un tableau clair et cohérent. Pour le moment, l’important était de choisir et écarter les pièces inutiles. Poirot se détendit et laissa ses pensées se présenter une à une à son esprit… Il revécut ces derniers jours…

Ses pieds douloureux dans ses souliers vernis… S’acheminant sur un chemin indiqué par sa bonne amie, Mrs Oliver… Une belle-mère… Il se vit la main posée sur une barrière… Une femme, penchée sur un buisson de roses, occupée à couper des branches inutiles et tournant la tête vers lui. Une tête dorée comme un champ de blé, avec des mèches en torsades. Il se souvint que le vieux Sir Roderick avait remarqué que Mrs Restarick devait porter une perruque par suite d’une fièvre de jeunesse. Il se rappela la pièce qu’ils avaient traversée ensuite, et les deux tableaux accrochés aux murs. Celui d’une femme vêtue d’une robe gris tourterelle, à la bouche mince, aux lèvres pincées, aux cheveux à peine gris. La première Mrs Restarick. Son portrait était juste en face de celui de son mari. Deux bonnes études. Poirot concentrait son esprit sur le deuxième tableau. Il ne l’avait pas si bien vu ce jour-là que dans le bureau de Restarick…

Andrew Restarick et Claudia Reece-Holland. Y avait-il là quelque chose ? Pas forcément. Il était naturel qu’il se tournât vers sa nouvelle secrétaire, une fille tellement compétente, pour l’aider à trouver un logement dans Londres qui puisse convenir à son enfant… Elle devait accepter de bonne grâce d’héberger la jeune fille puisqu’elle cherchait une troisième colocataire. Troisième colocataire… La phrase qu’avait prononcée Mrs Oliver lui revenait sans cesse à l’esprit, comme si cette dénomination de « troisième colocataire » cachait une autre signification qu’il n’arrivait pas à découvrir.

George entra, refermant discrètement la porte derrière lui.

— Une demoiselle demande à vous voir, Monsieur. C’est la jeune lady qui est venue l’autre jour.

La remarque arrivait trop à propos. Poirot se redressa en sursautant.

— La jeune fille venue à l’heure du déjeuner ?

— Oh ! non, Monsieur. Je veux parler de celle qui accompagnait Sir Roderick.

— Ah ! Vraiment ? – Il haussa les sourcils – Faites-la entrer. Où est-elle ?

— Je l’ai laissée dans le bureau de miss Lemon, Monsieur.

— Bien.

Sonia n’attendit pas que George vint la chercher. Elle fit irruption dans la pièce, d’un pas décidé.

— Il m’a été difficile de me libérer mais je tenais à venir vous préciser que ce n’est pas moi qui ai pris ces papiers. Je n’ai jamais rien volé !

— Asseyez-vous, Mademoiselle.

— Non, merci, je n’ai pas beaucoup de temps.

— Donc, vous affirmez que vous n’avez jamais emporté, hors de la maison de Sir Roderick, le moindre papier, document ou lettre ?

— C’est pour vous l’affirmer que je suis ici. Il me croit, lui. Il sait que je ne ferais jamais une chose pareille.

— Très bien. Je prends note de votre déclaration.

— Pensez-vous que vous retrouverez ces papiers ?

— J’ai d’autres enquêtes sur les bras, pour le moment. Les papiers de Sir Roderick attendront.

— Il est inquiet. Très inquiet. Il y a quelque chose que je ne puis lui révéler mais que je vais vous confier. Il perd ses affaires. Elles ne sont pas toujours là où il croyait les avoir placées.

— Ah ! Y a-t-il autre chose que vous vouliez me confier ?

— Pourquoi ?

— On ne sait jamais.

— Je ne comprends pas ?

— Je ne vous retiens pas. C’est peut-être votre jour de sortie ?

— Oui. Un jour par semaine, je puis faire ce que je veux : venir à Londres, visiter le British Museum…

— Ainsi que la National Gallery. Par contre, lorsqu’il fait aussi beau qu’aujourd’hui, vous pouvez vous rendre à Kensington Gardens et peut-être même aux Kew Gardens.

Elle se raidit et lut lança un regard coléreux.

— Pourquoi parlez-vous des Kew Gardens ?

— Parce que l’on peut y admirer de très beaux spécimens d’arbres et de plantes, ou simplement s’y asseoir sur un banc et lire un bon livre.

Il lui adressa un sourire désarmant et remarqua que le trouble de la jeune fille augmentait.

— Mais je ne dois pas vous retenir, Mademoiselle, vous avez peut-être des amis qui vous attendent dans quelque ambassade ?

— Qu’est-ce qui vous le fait croire ?

— Aucune raison particulière. Vous êtes, comme vous venez vous-même de me le dire, une étrangère et il est normal que vous ayez des amis travaillant ici à votre ambassade.

— Je suis sûre qu’on vous a débité des histoires sur mon compte ! Mrs Restarick ! C’est sûrement elle qui vous a raconté des mensonges ! Elle ne m’aime pas ! C’est le genre de femme dans lequel je n’ai aucune confiance.

— Vraiment ?

— Oui. Je crois qu’elle cache quelque chose. Elle va très souvent à Londres et ne dit jamais à son mari ce qu’elle y fait. Lui est très pris par ses affaires et n’a pas le temps de se demander à quoi elle emploie ses journées. Elle est plus souvent à Londres qu’à la campagne et cependant, elle prétend aimer follement les jardins !

— Et Norma, que savez-vous d’elle ?

— Si vous voulez mon opinion sur elle… eh bien, je vais vous la donner ! Elle est folle.

— Qu’est-ce qui vous porte à le croire ?

— Parfois, elle tient des propos étranges. Elle voit des choses qui n’existent pas.

— Des choses qui n’existent pas ?

— Des gens qui ne sont pas là. Tantôt, elle est très excitée et tantôt plongée dans une sorte de torpeur. Vous lui parlez et elle ne vous entend pas. Je crois qu’elle souhaite la mort de certains.

— Mrs Restarick ?

— Et son père ! Elle le regarde avec haine.

— Parce qu’ils s’opposent tous deux à ce qu’elle épouse le jeune homme qu’elle a choisi ?

— Oui. Ils ont tout à fait raison, bien sûr, mais cela la rend furieuse. Bon, je m’en vais à présent.

— Dites-moi juste encore une chose. Mrs Restarick porte-t-elle une perruque ?

— Une perruque ? – Elle réfléchit et finit par admettre : C’est possible. Les perruques sont à la mode. J’en porte moi-même une, parfois. Une verte ! Enfin, cela m’est arrivé. Je m’en vais, à présent.

Elle s’en fut.

 

La troisième fille
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